Quantcast
Channel: Déstresse, y a rien qu'I-Press » destressipress
Viewing all articles
Browse latest Browse all 30

Ruée vers l’or : le Sénégal a ses airs de far west

$
0
0

La région de Kedougou, située au Sud-Est du Sénégal, attire depuis quelques temps de nombreux prospecteurs, poussés par l’espoir de faire fortune dans les mines aurifères. Si les rêves de richesses se brisent au fond des puits, cette ruée vers l’or bouleverse la vie tranquille de ces villages. Reportage.  

Le visage maculé de terre, Abel se hisse à l’extérieur du puits de quarante mètres dans lequel il a travaillé toute la journée. Lampe torche accrochée au front grâce à un élastique, il place ses mains dans des cavités humides et glissantes creusées le long de la paroi, avec pour seule sécurité une corde à laquelle il peut se rattraper en cas de chute. Aujourd’hui, il a passé plus de dix heures à enchaîner les coups de pioche à la recherche d’or. Durant la journée, un de ses collègues resté à la surface a remonté les seaux remplis de pierres. Une petite montagne de gravats est maintenant entassée dans l’abri de fortune qu’ils ont fabriqué à partir de branches, tôle et toiles de jute.

Après une journée passée dans le noir au fond de son puits, Abel ressort pour trier les pierres.

Après une journée passée dans le noir au fond de son puits, Abel ressort pour trier les pierres. Crédit photo Bastien Renouil

Un rituel répété par des milliers de mineurs à Sambrambougou, village situé dans l’est du Sénégal, non loin de la frontière du Mali. Depuis quelques années ils envahissent ce qui était autrefois un petit hameau fait de cases aux toits de paille comme il en pullule partout dans le pays. Les habitats traditionnels ont disparu, laissant place aux cabanes en tôle accumulées le long de la piste qui mène aux mines. Les cinq mille habitants issus, selon Ibrahim Sissoro le chef de village, de plus de 12 nationalités – tous africains, principalement de l’ouest – ont transformé les lieux en bidonville où règne une ambiance de far west. Pillages, prostitution, alcool et drogue sont devenus une habitude dans la localité.

« La plupart des villages n’a jamais vu de gendarmes. Tous les jours il y a des vols, très souvent à main armée » s’inquiète Abel à la fin de sa journée de travail. « Il faut faire attention, tu peux toujours te faire poignarder » dit-il, scrutant les horizons alors qu’il quitte sa mine. Le plus grand danger vient plus tard, lorsque l’or est extrait après un long processus, mêlant broyage des pierres en provenance du puits et ajout de mercure pour agglomérer le métal précieux. Une fois que le mineur dispose de sa pépite, il est en péril. Les pillards rodent, parfois même parmi les orpailleurs, qui s’observent continuellement dans l’espoir de déterminer qui aura réussi à récupérer quelques rares grammes de métal. Mais la menace qui inquiète le plus les villageois vient du Mali voisin. « Certains rebelles ont quitté le pays depuis que la France y est présente et se sont joints à des bandits » explique le chef de Sambrandougou. Munis de kalachnikovs, ils procèdent de deux manières. Les coupeurs de route attendent au bord des pistes de terre qui relient les villages entre eux pour arrêter des véhicules et détrousser les voyageurs. D’autres, « lourdement armés » selon les villageois n’hésitent pas à s’attaquer directement aux habitations. « Les pillards agissent à leur bon vouloir » s’inquiète l’un des mineurs, « et personne ne peut rien faire pour les en empêcher ». La seule solution pour se protéger des vols, cacher leurs quelques grammes d’or dans des doublures de leurs vêtements.

 Les mines de Sambranbougou ont attiré des milliers d'Africains, ici la forêt a été détruite pour faire place aux puits.

Les mines de Sambranbougou ont attiré des milliers d’Africains, ici la forêt a été détruite pour faire place aux puits. Crédit photo Bastien Renouil

« Une terre bénie des dieux mais maudite par les hommes »

Mais l’image de l’argent facile n’attire pas que les voleurs, et pose de nombreux problèmes aux habitants de la région des gisements aurifères, vivant pour certains la ruée vers l’or comme un fléau. L’alcool, longtemps absent des étals se trouve maintenant facilement dans les villages les plus reculés, « souvent le soir des rixes éclatent, les gens boivent de la bière ou des alcools artisanaux frelatés, c’est très mauvais pour la sécurité, ils font n’importe quoi » déplore Pape Waly Sadiakhou, jeune instituteur habitant Kédougou, le chef-lieu de la région. Mais de tous les maux apportés à « cette terre bénie des dieux mais maudite par les hommes », la prostitution est le plus grand fléau auquel ont à faire les habitants de la région. Pape Sadiakhou raconte : « Bien entendu, on ne va pas se mentir, comme partout il y a toujours eu des prostituées, mais aujourd’hui des filles venues spécialement de Dakar ou des pays voisins emmènent nos sœurs se vendre avec elles, elles les attirent avec l’argent facile ! Les filles sont même organisées en réseau, ce n’est absolument plus clandestin». Organisées, mais pas éduquées, à un point tel que le taux de malades du Sida, très peu élevé dans le pays comparé au reste du continent est en nette augmentation dans les régions aurifères (7% contre moins de 1%). Mais la perspective d’un argent vite gagné n’est pas la seule motivation de ces filles qui troquent leur corps contre 2000 FCFA (environ 3€, une somme assez conséquente pour les villageois). Amari, divorcée et mère de trois enfants doit aussi subvenir aux besoins de sa mère : « Je cherche de l’or tous les jours que dieu fait, mais jusqu’à présent j’en trouve rarement, je suis donc obligée de me vendre à des hommes plus chanceux que moi avec l’or » s’attriste-t-elle. Combien cela lui rapporte-t-il ? Elle ne veut pas l’avouer, mais certains hommes de Sambrandougou affirment pouvoir « louer [les services d']une femme » pour 100 000 FCFA par mois (environ 150€), une somme très importante dans un pays où l’on peut se procurer un sac de riz de 50 kg pour 15 000 FCFA.

Une femme tamise des pierres abandonnée par les hommes dans l'espoir de récupérer quelques poussières.

Une femme tamise des pierres abandonnée par les hommes dans l’espoir de récupérer quelques poussières.Crédit photo Bastien Renouil

Creuser dans les mines ou vendre de la nourriture plutôt qu’aller à l’école

Des sommes qui peuvent facilement détourner les jeunes de l’école… L’enseignant de Kédougou, Pape Waly Sadiakhou affirme qu’avant l’ouverture d’une mine, il y avait plusieurs dizaines d’élèves dans un des collèges de la région. « Mais l’année ou un filon à été découvert, il n’étaient plus que sept en juin ! » déplore-t-il. Les garçons sont attirés par la recherche d’or dans les mines clandestines – les enfants n’ont pas le droit de travailler au Sénégal, d’où leur absence des mines industrielles – ou portent de l’eau qu’ils revendent aux mineurs. Les filles sont plus rares à creuser. Celles qui cherchent de l’or récupèrent en général de la terre sortie des puits, déjà sondée par des détecteurs de métaux, et la tamisent dans l’espoir d’en retirer quelques milligrammes oubliés du précieux métal. La majorité des femmes travaillant à proximité des exploitations minières tiennent des boutiques : de la canette de bière aux pillons de poulet, en passant par des maillots contrefaits du Paris Saint Germain, c’est un véritable bazar qui apparaît le long des pistes. A Sambrandougou, les échoppes crasseuses s’alignent le long de la terre ocre matérialisant le chemin d’accès aux puits, sur plusieurs centaines de mètres avant l’entrée du site d’orpaillage.

Le chef du village, Ibrahim Sissoro déplore l’état de certains de ces magasins mais aussi des cabanes où ils vivent et craint pour la santé des habitants : « les maladies peuvent facilement se développer dans ces conditions, nous n’avons ni l’eau courante, ni l’électricité… et le plus proche dispensaire reste très éloigné » s’inquiète-t-il. Sans pour autant juger nécessaire de restreindre l’accès de son village aux nouveaux venus ou de créer des mesures pour aider à la salubrité des lieux. Ce qui étonne peu de la part de cet homme, qui empoche des commissions sur toutes les pierres récupérées dans les puits, et dont la maison en dur est l’une des seules salubres du village.

Malgré les conditions de vie précaires, les risques sanitaires et la peur des pillards, les travailleurs continuent d’affluer en partie de la région, mais aussi du Mali et de la Guinée voisins, ainsi que de toute la l’Afrique de l’Ouest. Quand on leur demande s’il est rentable pour eux de travailler ici, aucun des mineurs ne donne de chiffre concret, les négociations se déroulent en cachette, le secret plane autour des marchés de l’or. Mais sourire aux lèvres, l’un d’eux montre la direction du Mali « c’est très facile d’y entrer, et vu l’état des institutions, on peut y vendre à bon prix ce que l’on veut sans avoir à payer de taxes.» Contrairement au Sénégal, où les particuliers qui creusent à la recherche du précieux métal, doivent en théorie le revendre à des exploitations minières industrielles déclarées, à des cours pas toujours avantageux pour eux. Assis devant sa mine et attendant le pick-up servant de bus aux mineurs, Abel se désole. Lui n’a pas encore eu à se décider, entre revente légale et export vers le Mali. Depuis huit mois qu’il est à Sambrandougou, il n’a pas trouvé la moindre pépite.

Bastien Renouil



Viewing all articles
Browse latest Browse all 30

Latest Images





Latest Images